Compte rendu de la soirée forum du 8 octobre 2018

Débat sur le pont de la Jonction : compte rendu

  • , actualisé le
  • par Nicolas

 Discussion générale

Points positifs

  • L’ouverture de la Ville est à saluer. Elle a très vite entendu les remarques des habitants, et déjà exploré des pistes concrètes pour améliorer la barrière.
  • Il est très positif que ce débat ait lieu, car il touche à des thèmes importants. Et il est aussi l’occasion de parler de ces tabous que représentent la mort et le suicide.

Critiques (avec en bleu les réponses ou commentaires des intervenants)

  • On a consulté Stop suicide, mais pas d’autres instances représentatives de la population. C’est un peu deux poids deux mesures.

Rémy Pagani explique qu’avec 60 chantiers ouverts en même temps en Ville de Genève, il ne peut faire chaque fois des concertations. Mais chaque fois que des citoyens sont mécontents, il réagit et vient pour discuter avec eux et voir ce qu’on peut faire ensemble.

  • La hauteur actuelle n’empêche pas un suicide. On peut franchir la barrière. On est dans un compromis insatisfaisant.

Effectivement, 1 m 55 ne permet pas de prévenir 100 % des suicides. Mais franchir cette hauteur demande d’être déterminé et de faire un effort. La barrière agit donc comme un obstacle à la volonté d’en finir, car on ne peut simplement se laisser tomber.

La hauteur refuge recommandée est de 2 m 30, pour 90% d’effet de prévention. La rapport de l’OFROU recommande au moins 1 m 80 pour les sites à haut risques. Cette hauteur n’étant pas envisageable en raison de l’impact sur l’ouvrage et la vue spectaculaire nous avions validé la hauteur de 1 m 55, étant donné que le Viaduc de la Jonction n’est pas un site prioritaire en matière de prévention du suicide. Même si cette hauteur n’est pas idéale en terme de prévention, un rehaussement même moindre reste préférable à aucun rehaussement.

  • Pour le pont Butin aussi, il y aurait dû avoir une concertation au début du projet. La présence d’un financement privé pose problème dans la mesure où elle semble dicter des réalisations qui ne peuvent pas être discutées.
  • On est un peu pris en otage par cette question du suicide, qui est dramatique. Mais se jeter du pont n’est pas la seule manière de se suicider. Si on veut éliminer toutes les possibilités, il n’y a pas de limites.

Les études montrent que réduire l’accès à un moyen réduit le nombre de suicide par ce moyen mais aussi le taux général. Ça été le cas à Lausanne : après la sécurisation du Pont Bessières, non seulement les suicides depuis ce pont ont diminué mais les suicides par précipitation en général ont aussi diminué.

Pistes et propositions

  • Prendre le temps pour étudier des alternatives. Il n’y a plus urgence, on peut prendre trois ans, on discute, et à la fin on vote. Ne décidons pas simplement sur la base de la barrière prototype, il y a de la marge pour améliorer les choses.
  • Remettre la barrière à 1 m 30, car l’amélioration proposée est faussement satisfaisante, et on accorde trop d’importance à Stop suicide.
  • Pour assurer la prévention des suicides, explorer la possibilité d’installer des filets, avec une barrière à 1 m 30 pour la sécurité des piétons et des cyclistes.
    C’est très compliqué, car le problème avec un filet est qu’il bloquerait la vue vers le bas, vers le fleuve et la jonction des eaux.
  • Prendre en comptes les besoins multiples liés à l’aménagement et à l’utilisation du pont. Et puisqu’on est sur une voie verte, mettre l’argent qu’il faut pour trouver une véritable solution architecturale. Car la réalisation actuelle n’est pas un vrai projet.
  • Reconsidérer l’homogénéité de la barrière en intégrant la question des pauses et des arrêts : une promenade est faite de haltes et de lenteur. Tenir compte également des différences de vitesse entre vélos et piétons.
  • Faire quelque chose d’entrecroisé, et non ce brutalisme du tout droit utilisé partout.
  • Alléger la structure de la barrière : du côté du fleuve, elle n’a pas à retenir une locomotive, mais des person­nes. On peut donc diminuer la profondeur des barreaux, car c’est cela qui actuellement empêche de voir à travers. Le problème n’est pas la hauteur, mais la structure utilisée.

La présence des vélos demande une solidité. La norme est qu’un pendule de 75 kg laché à un mètre de la barrière ne provoque pas de déformation supérieure à 55mm. De plus, on ne peut utiliser pour la résistance de la barrière d’éléments horizontaux qui pourrait servir d’échelle.

  • Séparer par une barrière adaptée le cheminement en deux, avec les vélos côté voie, et les piétons côté vue. Car avec la vitesse des vélos, la juxtaposition des deux modes transports est dangereuse. Cela permettrait de mettre côté fleuve une barrière.

La largeur prévue pour des bandes cyclables est de 3 m 50. On a donc sur le pont un diminution de ce critère : on permet à des piétons de marcher sur une bande cyclable. On pourrait aussi se poser la question si les cyclistes ne devraient pas mettre pied à terre pour traverser le pont. On pourrait peut-être alors avoir une barrière moins massive.

Droit à la vue, droit à la vie...

  • On est en train de parler de la mort des gens ! Une hauteur de 1 m 30, c’est dangereux. Et un seul mort est un mort de trop. Le choix est entre le paysage et la mort des gens.
  • Le droit à la vie est supérieur. La République ne va pas être à feu et à sang si une barrière est un peu trop haute. Il est nécessaire de penser aux autres. Si on était soi-même touché, directement ou indirectement, on penserait différemment.
  • La majorité des personnes présentes ne méprise pas la cause de la prévention, mais se bat pour une idée de beauté et d’émotion. C’est aussi quand on fait des choses belles qu’on travaille en amont pour la vie. Il n’y a pas lieu de mettre en opposition ceux qui s’engagent pour la beauté et l’émotion, et ceux qui agissent pour la prévention des suicides.

Pour la suite

  • Il faut tirer des leçons de la réalisation de ces barrières sur le pont de la Jonction et sur le pont Butin, et mettre en route une réflexion pour éviter à l’avenir ce genre de faits accomplis. Car si cette séance avait eu lieu en amont, on aurait évité bien des tensions.

Rémy Pagani voit deux possibilités : est-ce qu’on fait un concours d’architecture, ou on améliore le projet existant, comme on vous le propose ce soir ? La première option est plus compliqué, et nous ferait entrer dans un processus soumis aux aléas des procédures politiques.
Sa proposition est donc de faire construire deux modules, de les mettre en place pour qu’on puisse juger sur place, puis de se réunir à nouveau en assemblée pour en discuter.

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  Réflexions et perspectives

Par Pierre Varcher, coprésident de la Maison de quartier de Saint-Jean

La question qui reste ouverte c’est « qu’est-ce qu’on fait ? » On voit que le sujet, qui de prime abord pouvait sembler anodin, est drôlement passionné. Le passage sur le pont de la Jonction fait en effet partie de l’identité de Saint-Jean. En 45-46, les témoignages de l’époque révèlent ce qu’a représenté pour le quartier la possibilité de pouvoir traverser le Rhône et aller jusqu’au bois de la Bâtie.

Il y a dans la discussion de ce soir trois débats :

Le premier porte sur le suicide et la prévention. Est-ce qu’il faut protéger les autres contre toute tentative de suicide, ou considère-t-on que ce n’est pas notre problème ? On peut en tout cas comprendre le souci du magistrat, outre ses raisons plus personnelles, qui ne veut pas se retrouver tenu pour responsable au cas ou il ne serait pas entré en matière. Dans l’assemblée, personne ne s’est opposé de front à la prévention. Mais la demande de statistiques et les réactions dubitatives montrent le besoin de preuves qui viennent appuyer ce est dit de la prévention.

Le deuxième débat est celui du droit au paysage. On pourrait penser que c’est un droit de riches. En fait il est très lié à nos identités. Et on constate qu’il est souvent sacrifié à tous les autres intérêts. Il y a là une vraie question de fond : comment notre société se construit-elle ? Comment construit-elle sa ville ? Est-ce qu’on va vers la fonctionnalité pure, vers la sécurité, quitte à faire une ville où on est enfermé, ou bien est-ce qu’on mise sur l’esthétique d’un ouvrage et le droit au paysage ?

Le troisième débat est « qui décide de tout ça ? » Il y a plus de 15 ans, le Forum Saint-Jean - Charmilles s’est formé pour assurer une démocratie participative. Celle-ci peut prendre plusieurs formes, à partir de la simple information qui n’est pas encore une participation démocratique, jusqu’à la concertation aboutissant à une décision commune.

Ici se pose un problème avec Stop suicide, puisque leur demande sur de tels projets, et pour des raisons qui leur sont propres, est qu’il n’y ait pas d’information. Cette absence d’information heurte l’idéal de démocratie, puisque on est devant une espèce d’idéal du secret : « on n’en parlera que quand ça sera fini. »

La problématique des barrières soulève la question « qui peut décider quoi ? » Ce n’est pas simple. Ce n’est pas blanc ou noir. Ce sont des pôles en tension. Et c’est d’autant plus difficile qu’ils sont très émotionnels.

L’ouverture de la Ville de Genève est à noter. Quand on voit des gens qui font des prototypes et grimpent dessus pour les tester, on ne peut en tout cas pas dire « ils font n’importe quoi ». On voit qu’il y a de leur côté une écoute.

Si on continue ce processus, suffira-t-il de se positionner par rapport à des prototypes après les avoir essayés ? Cela demandera aussi un cadre de discussion qui peut continuer, et soit ouvert aux idées exprimées ce soir, par ex. sur les besoins de diversité en terme de promenade ou sur l’aspect de la barrière. Le but d’un tel processus sera de trouver une solution qui soit un compromis. Et pour cela il faut se donner un peu de temps. Pas forcément avec un concours. Mais en tout cas avec une procédure de concertation. Pour cela, l’habitude du Forum est de former des groupes de travail, avec les personnes intéressées. Ce qui a été prévu ce soir, avec les feuilles où vous pouvez noter vos coordonnées, afin d’être tenu au courant et invités aux prochaines étapes de discussion et de réflexion.
[applaudissements de l’assistance]


Pour la suite du processus participatif sur cette problématique, voir le compte-rendu du forum du 12 juin 2019 consacré aux différentes solutions proposées pour améliorer la barrière