Mais qu’appelle-t-on participation ? Derrière un même mot, des réalités parfois très différentes

  • , actualisé le
  • par Nicolas

 Le règne d’or de la participation ?

Le mot participation est aujourd’hui à la mode. Canton, communes, associations, et même organismes privés, tout le monde aime dire qu’il met en œuvre des méthodes participatives. Si bien qu’au vu des affiches, des annonces et des programmes, un observateur non prévenu pourrait croire que nous sommes actuellement dans un véritable règne d’or de la participation. La réalité toutefois est moins chatoyante. Car derrière le mot participation se trouvent toutes sortes de démarches, allant des processus les plus réellement participatifs aux consultations alibi. Il ne suffit que de faire participer des gens à un évènement ou à une rencontre publique pour dire qu’on a « fait de la participation ». Alors comment s’y retrouver ? Au Forum, un outil nous est utile : l’échelle de la participation de Sherry Arnstein.


 Mesurer le degré de la participation

Sherry Arnstein, consultante américaine, a proposé en effet en 1969 de distinguer 8 niveaux sur l’échelle de la participation citoyenne. Les 8 niveaux sont différenciés par le degré de pouvoir réel qu’ont les habitant·e·s pour influencer et décider des choix dans les projets qui les concernent.

Tout en bas se trouvent deux niveaux excluant toute participation : la manipulation, et un niveau appelé en français « thérapie  », où les questions que rencontrent les habitant·e·s sont abordées, mais pour leur appliquer un emplâtre sur une jambe de bois. Autrement dit sans traiter les véritables enjeux, et en apportant des « solutions » qui ne font que masquer le problème.

En haut figurent trois niveaux de participation véritable : le partenariat, où la prise de décision se fait au travers d’une négociation entre les pouvoirs publics et les citoyens, la délégation de pouvoir, dans lequel l’instance centrale délègue à la communauté locale le pouvoir de prendre certaines décisions au cours d’un processus, et tout en haut le contrôle citoyen, lorsque tous les aspects essentiels sont entre les mains des habitant·e·s, par ex pour la réalisation d’un projet ou la gestion d’un équipement.

 Verre à moitié plein, ou verre à moitié vide ?

Le milieu de l’échelle d’Arnstein est constitué par trois niveaux : l’information, lorsque les citoyens reçoivent une vraie information sur les projets en cours, mais ne peuvent donner leur avis ; la consultation, au cours de laquelle des enquêtes ou des réunions publiques permettent aux habitants d’exprimer leur opinion sur les changements prévus ; et la conciliation, où quelques habitants sont admis dans les organes de décision et peuvent donner leur avis sur la réalisation des projets, mais où la décision reste aux mains des détenteurs du pouvoir.

Que penser de ces trois niveaux intermédiaires ? Dans la version française de l’échelle d’Arnstein (par ex. sur Wikipédia), ils sont regroupés dans la catégorie « coopération symbolique ». Mais dans la version d’origine, ils sont rassemblés sous le mot « tokenism ». Or ce terme de tokenism désigne les pratiques consistant à intégrer quelques représentants (token) d’un groupe particulier (minorité ethnique, femmes, etc.) pour ne pas être accusé de discrimination. Il désigne donc une mesure de pure forme, destinée à donner un alibi aux organisateurs d’un processus. La catégorie de « coopération symbolique » désigne donc une participation aux niveaux des apparences, mais sans véritable partage de pouvoir.

 Une visée critique

L’échelle d’Arnstein est un instrument particulièrement critique. Elle nous encourage à ne pas nous contenter de discours en trompe l’œil, mais à examiner dans les processus participatifs quel est le degré effectif de partage du pouvoir. Elle joue également le rôle d’une boussole indiquant la direction et le but que doit rechercher la participation citoyenne. Car dans la pratique – et le Forum n’y échappe pas plus que les autres organisateurs de démarches participatives – il est peu fréquent qu’on parvienne aux niveaux de participation réelle définis par Sherry Arnstein. Ce qui ne doit pas nous décourager, mais nous inviter à examiner nos propres actions. Et à contester l’appellation de participation citoyenne aux démarches certes honorables mais tout à fait insuffisantes, que constituent les processus de consultation ou de concertation qui fleurissent aujourd’hui.

Article de Nicolas Künzler paru dans le numéro d’automne 2020 de Quartier Libre, le journal de la Maison de quartier de Saint-Jean

Retrouvez l’intégralité du journal sur le site de la Maison de quartier